Starlink, une menace pour notre souveraineté numérique ?
Starlink se déploie massivement en France auprès des particuliers, mais également plus récemment au sein d'organisations privées. Une chance pour la connectivité, mais potentiellement une menace.
Starlink, une entreprise appartenant à SpaceX, a déployé ces dernières années des milliers de satellites, permettant ainsi une connectivité accrue dans des zones jusque-là dépourvues de connexion internet fiable. Au-delà de l'usage individuel, Starlink est également utilisé par des entreprises pour renforcer leur résilience numérique, démontrant ainsi son potentiel dans divers secteurs. Plus de 3 millions d’utilisateurs dans le monde, plus de 6000 satellites et des dizaines de stations sol.
SpaceX et Starlink : un enjeu stratégique pour la souveraineté des États-Unis
Avant de discuter des implications pour notre pays, il est essentiel de comprendre que Starlink représente déjà un enjeu de souveraineté numérique pour les États-Unis eux-mêmes. La première entité à exercer un contrôle sur Starlink est la Federal Communications Commission (FCC).
Sur le site de la FCC, on peut consulter le document FCC-22-91A1, qui "examine" les régulations relatives aux communications par satellite. Ce document aborde des questions telles que les demandes de dérogation pour certaines exigences techniques, la gestion des fréquences Ku et Ka, ainsi que la conformité aux normes internationales. Il traite également de l'atténuation des débris orbitaux, de la protection des missions scientifiques et des préoccupations environnementales liées aux lancements et à la rentrée des satellites. La FCC se concentre avant tout sur la sécurité des opérations spatiales et la protection de l'astronomie.
Un autre aspect important à considérer est la nécessité, pour postuler à des emplois chez Starlink, de répondre aux exigences de l'ITAR (International Traffic in Arms Regulations) américain. L'ITAR régule la fabrication, l'exportation et l'importation temporaire d'articles de défense, ainsi que les services et activités de courtage liés aux articles listés sur l'USML (United States Munitions List). Pour travailler chez SpaceX sur le projet Starlink, il est donc requis de satisfaire à des obligations de nationalité, et pour certains postes, d'avoir des habilitations de sécurité, équivalentes à nos habilitations Secret Défense.
Le secteur des télécommunications : un enjeu de souveraineté pour la France
Le secteur des télécommunications est depuis de nombreuses années, voire des décennies, considéré comme stratégique pour la France. À cet égard, le premier outil de contrôle est l'ARCEP (Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse), qui régule l'utilisation des fréquences. Pour opérer en France en tant qu'opérateur, il est impératif de s'enregistrer auprès de cette organisation. SpaceX a d'ailleurs rencontré plusieurs défis pour pouvoir opérer en France, notamment en ce qui concerne l'utilisation des fréquences.
En outre, en France, la Loi de Programmation Militaire encadre les opérateurs d'importance vitale, qu'ils soient privés ou publics. Ces opérateurs sont considérés comme essentiels pour la nation, et leur impact potentiel est tel qu'il pourrait nuire à la sécurité nationale. Bien que la liste de ces opérateurs soit classifiée, il est de notoriété publique que le secteur des télécommunications est soumis à ces obligations strictes.
L'ANSSI (Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information) a également publié un document qui couvre les menaces spécifiques à ce secteur très particulier. L'espionnage, loin d'être une simple fiction, fait partie des enjeux concrets et quotidiens auxquels font face nos homologues dans ces organisations. Je vous invite d'ailleurs à consulter ce rapport :
https://www.cert.ssi.gouv.fr/uploads/CERTFR-2023-CTI-010.pdf
Ce secteur a également été au cœur de polémiques, notamment avec l'acteur chinois Huawei. À l'été 2023, Thierry Breton, commissaire au marché intérieur, a exhorté les vingt-sept pays membres de l'Union européenne et les opérateurs télécoms à exclure les équipements Huawei de leurs réseaux mobiles. « Nous ne pouvons pas nous permettre de maintenir des dépendances qui pourraient devenir des armes contre nos intérêts. Ce serait un trop grand risque pour notre sécurité commune », a-t-il déclaré lors d'une conférence de presse à Bruxelles.
Le retour d'expérience en Ukraine
La guerre en Ukraine constitue également un retour d'expérience crucial pour mesurer la criticité de Starlink, tant pour l'Ukraine que pour la Russie.
D'une part, le Département de la Défense des États-Unis a pris des mesures pour empêcher les forces armées russes d'utiliser Starlink sur le théâtre des opérations.
D'autre part, l'Ukraine a largement recours aux équipements fournis par Starlink pour équiper des systèmes d'armes au sol et en vol, avec une utilisation massive sur le terrain. Il a même été question, à un moment donné, pour Starlink de bannir cet usage militaire.
L’utilisation de Starlink amène ainsi la question de ce qu’il se passerait si les Etats-Unis décident subitement de couper les liens, modifier les conditions d’emplois.
Un besoin de contrôle
En tant que fervent défenseur du numérique, je suis intimement convaincu que les offres de Starlink, ainsi que celles de ses futurs concurrents, vont permettre de développer de nouveaux usages numériques et de résoudre des problèmes concrets du quotidien.
Cependant, face à l'expansion rapide de cet usage dans les années à venir, il deviendra crucial d'augmenter drastiquement le niveau de contrôle de ces entités. Il sera également nécessaire de transcrire les obligations imposées aux opérateurs télécoms actuels à des acteurs comme Starlink, en incluant notamment les exigences de la Loi de Programmation Militaire.
Cette évolution du cadre réglementaire et de surveillance sera essentielle pour garantir que les services fournis par ces nouveaux acteurs restent alignés avec les impératifs de sécurité nationale et de souveraineté numérique.
La montée en puissance de solutions satellitaires comme celles de Starlink ne doit pas se faire au détriment des opérateurs existant, mais plutôt en complément de celles-ci, afin de s'assurer que ces technologies servent les intérêts des citoyens tout en préservant la sécurité des États.
Conclusion
Le déploiement et l’adoption à grande échelle de Starlink représentent une opportunité majeure dans le domaine du numérique. Cependant, son utilisation doit être encadrée, et sa branche française devrait être soumise aux mêmes réglementations strictes que les opérateurs de télécommunications en France en tant qu’Opérateur d’Importance Vitale (OIV).